Interview exclusive avec Aurélien Tréboux - Responsable travaux de Naef rénovations énergétiques

Rénovation énergétique en Suisse : cadre légal, impacts et perspectives
Dans un contexte où la transition énergétique est au cœur des préoccupations, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Aurélien Tréboux, responsable des travaux de Naef rénovations énergétiques sur l'évolution du secteur immobilier face aux contraintes environnementales.
À travers cette interview, il évoque les récentes évolutions législatives en matière de rénovation énergétique à Genève et en suisse, et analyse leur impact sur les décisions d'investissement des propriétaires privés et institutionnels.
Quel est aujourd’hui le cadre légal en matière de rénovation énergétique des immeubles et bâtiments existants ?
A Genève, suite à la remise en cause du règlement d'application de la loi sur l'énergie de 2022, un accord historique pour l’assainissement du parc bâti a été signé en mars 2024. Finalement, le règlement maintient les deux principaux impacts désormais bien connus :
- La limitation de l'IDC (Indice de Dépense de Chaleur).
- La priorité donnée aux énergies renouvelables dans le remplacement des systèmes de production de chaleur.
Ce règlement a ainsi été figé, apportant une stabilité attendue par tous. Parallèlement, de nombreuses subventions liées aux travaux de rénovation énergétique ont été doublées, renforçant encore l'incitation à agir.
Cela a généré un véritable enthousiasme : non seulement les règles étaient désormais claires et stables, mais elles correspondaient en grande partie aux mesures mises en place dès 2022, ce qui limitait les bouleversements. De plus, l'augmentation des incitations financières encourageait encore davantage la transition énergétique.
Les autres cantons ont-ils adopté un cadre légal aussi structuré que celui de Genève en matière de rénovation énergétique ?
Je ne maîtrise pas en détail le cadre légal des autres cantons, ce qui est d’autant plus surprenant que nous sommes tous soumis à la même loi fédérale sur l’énergie. Le MOPEC (Modèle de prescriptions énergétiques des cantons) a justement été créé pour uniformiser son application. Pourtant, chaque canton l’adapte à sa manière et à son propre rythme.
À Genève, certains estiment que le canton est en avance, tandis que d’autres jugent ses exigences trop strictes. Quoi qu’il en soit, Genève applique une politique énergétique ambitieuse. De nombreux cantons commencent à s’en inspirer ou à parvenir aux mêmes conclusions, mais avec des approches différenciées.
Cela souligne l’importance de consulter des experts spécialisés par canton. L’objectif est commun, mais les moyens d’y parvenir varient.
En tant que propriétaire d’un immeuble, privé ou institutionnel, quels sont les impacts concrets du cadre légal actuel en matière de rénovation énergétique ? Comment ces effets se manifestent-ils en 2024 ?
Le principal impact du cadre légal réside dans l’ambition des objectifs fixés. Il n’est plus possible d’aborder la rénovation des bâtiments comme auparavant. Désormais, une vision globale est nécessaire. Pour nos mandants souhaitant préserver leur patrimoine, cela implique une réflexion à long terme.
Là où l’on pratiquait autrefois essentiellement de la maintenance corrective, en intervenant ponctuellement sur des défauts de façade ou en réalisant des travaux de rafraîchissement , on assiste aujourd’hui à une véritable mutation du bâti. Le cadre légal influe non seulement sur les bâtiments eux-mêmes, mais aussi sur notre manière d’envisager leur entretien.
Jusqu’à présent, l’entretien se limitait à conserver un patrimoine bâti en bon état. Aujourd’hui, il s’agit de le transformer pour répondre aux nouvelles exigences réglementaires. Cette évolution impose un changement profond dans notre approche : au lieu de simplement solliciter des devis pour restaurer un bien à son état initial, nous élaborons désormais de véritables avant-projets, visant à redéfinir la finalité du bâtiment après rénovation.
Cela implique des études préalables plus approfondies, des échanges plus complexes avec les autorités et une prise en compte des enjeux à l’échelle de la ville. Là où auparavant les projets se concentraient sur l’aspect esthétique, les rénovations doivent désormais intégrer des objectifs clairs en termes de performance énergétique et de consommation.
Cette transformation s’accompagne d’une professionnalisation accrue du secteur. De nouveaux métiers émergent pour accompagner les architectes, qui ne travaillent plus seuls mais entourés de spécialistes. Le rôle du pôle mandataire prend de l’ampleur, non seulement pour définir et structurer les projets, mais aussi pour garantir l’atteinte des résultats attendus.
Enfin, la notion de résultat a elle-même évolué. Autrefois, une rénovation était jugée réussie si le bâtiment retrouvait un aspect esthétique amélioré. Aujourd’hui, au-delà du visuel, la performance énergétique et l’atteinte de labels deviennent des critères fondamentaux. Ces labels permettent de pérenniser l’investissement en assurant que le bâtiment réponde aux standards à long terme, évitant ainsi des interventions répétées.
De ce que je comprends, les chantiers deviennent plus complexes dans leur réalisation. Est-ce que cela implique une augmentation des coûts et des frais ?
Oui, clairement. Si l’on compare le coût global d’une rénovation aujourd’hui avec celui d’il y a quelques années, on observe une hausse significative, bien que je ne puisse pas chiffrer précisément ce facteur car il varie en fonction des projets et de l’état initial du bâtiment traité. Les rénovations coûtent plus cher, mais cela s’explique par un changement de paradigme : nous ne nous contentons plus d’un simple rafraîchissement, nous transformons les bâtiments pour les adapter aux nouvelles exigences énergétiques et réglementaires.
Cependant, nous sommes actuellement dans une période où l’État apporte un soutien financier conséquent aux propriétaires souhaitant rénover. Cette opportunité ne durera pas indéfiniment, et il existe déjà plusieurs exemples où, grâce aux subventions et aux incitations fiscales, une rénovation visant un label HPE (Haute Performance Énergétique) ne revient pas plus cher que l’entretien initialement projeté, voire dans certains cas, peut coûter moins cher.
Pouvez-vous nous donner un exemple concret ?
Un immeuble d’habitation nécessitait des travaux en raison d’un problème de carbonatation sur ses façades. Initialement, notre client souhaitait uniquement un entretien minimal, car il avait d’autres priorités. Nous avons donc établi un devis pour le traitement de la carbonatation sur la façade, ainsi que pour la réfection de la toiture, qui présentait des signes d’usure. Ce projet incluait également la mise aux normes des garde-corps et d’autres interventions, pour un coût total d’environ CHF 800 000.-
À partir de ce devis, nous avons étudié ce qu’il manquait pour atteindre le label HPE, étant donné que le bâtiment disposait déjà d’un CECB+. Les principaux éléments manquants étaient l’amélioration de l’isolation des fenêtres et un travail plus important sur la toiture. En intégrant ces travaux et en tenant compte des subventions disponibles, ainsi que de l’exonération fiscale sur 20 ans, les aides financières couvraient intégralement ces travaux supplémentaires.
Nous avons donc recontacté le propriétaire pour lui présenter cette opportunité. Bien que ces travaux ne fassent pas initialement partie de sa stratégie immédiate, nous lui avons démontré qu’il était économiquement plus judicieux de les réaliser maintenant, tant que ces aides financières existent. Dans ce contexte, il était clair que procéder à une rénovation ambitieuse représentait souvent une meilleure décision que de se limiter à un simple entretien.
On a parlé de bâtiments qui ne sont pas forcément impactés par une sauvegarde patrimoniale. Il semble que sur le terrain, ces sujets soient assez difficiles à traiter. Quel est ton avis là-dessus ?
À mon sens, ces bâtiments sont les plus complexes à gérer en matière de rénovation énergétique. Je ne parle pas ici des édifices à forte valeur patrimoniale, pour lesquels nous savons d’emblée qu’ils n’atteindront probablement pas un label HPE. L’objectif, dans ces cas-là, est d’améliorer au maximum leur performance énergétique tout en respectant leur caractère historique. Nous avons d’ailleurs réalisé de très beaux projets, comme celui de la rue du Port l’an dernier, où, bien que le label HPE n’ait pas pu être obtenu, les consommations énergétiques ont été significativement réduites grâce à une rénovation optimisée.
Les véritables défis concernent actuellement les bâtiments du début du XXᵉ siècle, nombreux à Genève. Ils ne sont pas classés, mais restent protégés, ce qui engendre des restrictions importantes. Aujourd’hui, la majorité des dossiers que nous avons en cours sur ce type de biens sont en attente. Certains projets sur lesquels nous travaillons depuis trois à quatre ans n’ont toujours pas abouti en raison des nombreux allers-retours avec les autorités et des négociations en cours.
Notre rôle est de défendre les intérêts de nos clients en cherchant des solutions adaptées permettant d’atteindre des standards énergétiques ambitieux sans trop altérer l’esthétique du bâti. Nous proposons des alternatives peu impactantes visuellement, mais nous devons convaincre les autorités. Il existe peu de réalisations achevées servant de référence, ce qui les pousse à avancer avec précaution. Nous collaborons donc étroitement avec eux pour identifier des solutions concrètes et élaborer des fiches de bonnes pratiques. Cette phase de tâtonnement ralentit considérablement les processus d’autorisation, et nos mandants en subissent les conséquences : des études prolongées, des coûts d’ingénierie élevés et une absence de visibilité sur le calendrier des travaux. Toutefois, une fois ces bonnes pratiques établies, les futurs dossiers devraient être traités plus efficacement.
Il y a cependant une réelle volonté d’avancer pour chaque partie, y compris du côté des Monuments et Sites. Leur mission est de préserver le patrimoine, et ils prennent ce rôle très au sérieux, ce qui est légitime. De notre côté, avec le soutien des instances concernées, nous faisons évoluer nos approches pour trouver des solutions viables dans le cadre imposé.
Actuellement, la majorité des projets ne sont pas bloqués, mais ils nécessitent une mobilisation d’énergie considérable pour parvenir à des avancées significatives. Nous sommes dans une phase de transition, où chaque dossier constitue un cas d’étude permettant de définir des lignes directrices pour l’avenir.
Par ailleurs, une question importante reste en suspens : le devenir des bâtiments classés et prestigieux qui, ne pourront pas tous atteindre un label de haute performance énergétique. Ces biens ont historiquement suscité un grand intérêt, y compris de la part des investisseurs institutionnels. Mais aujourd’hui, certains d’entre eux nous font part de leur obligation d’atteindre un label HPE dans le cadre de leurs rénovations, conformément à leurs engagements environnementaux. Nous devons alors leur expliquer que, pour certains bâtiments, cela est tout simplement impossible. Cela soulève des interrogations sur l’avenir de ces biens en termes d’investissement et de valorisation.
Enfin, au-delà des biens classés, il faut aussi considérer une nouvelle dynamique réglementaire. Longtemps, nous pensions que l’absence d’objection des Monuments et Sites signifiait une liberté totale d’intervention sur un bâtiment. Ce n’est pas le cas. La Commission d’Architecture joue plus qu’auparavant un rôle déterminant. Comme nous transformons profondément l’aspect des bâtiments, la ville souhaite préserver une cohérence architecturale et éviter une uniformisation dénuée de caractère. Nous devons donc négocier ces transformations, ce qui ajoute une nouvelle couche de complexité aux projets.
En résumé, nous sommes dans une période de transition, avec encore beaucoup d’incertitudes et d’adaptations en cours. Mais une fois ces nouveaux standards établis, les processus devraient se fluidifier, facilitant ainsi la rénovation énergétique du patrimoine bâti.
Si je comprends bien, la rénovation énergétique est encore semée d'embûches, mais tu sembles plutôt positif. Quelle est ta vision pour l'année à venir, en 2025, et pour le futur, que ce soit au niveau genevois ou suisse ?
Je ne parlerais pas d’un parcours semé d’embûches, mais plutôt de nombreux défis à relever. Aujourd’hui, nous avons appris à travailler avec les différents règlements en vigueur, qui deviennent de plus en plus précis, notamment en matière de production de chaleur.
Un moment clé approche : le 13 mars, une séance importante viendra clarifier le cadre du déploiement du RTS. Elle précisera notamment les obligations de raccordement et les règles de raccordement à long terme. Une fois ces éléments bien définis, nous aurons une vision encore plus claire du cadre légal et de sa mise en application.
Nous avons aussi gagné en expertise sur la gestion des avant-projets et sur l’importance des pré-consultations avec les organes compétents des départements. Après plusieurs années de travail, nous sentons que ces projets sont désormais sur le point d’aboutir.
Je pense que 2025 sera encore une année de préparation et de finalisation des bases, mais elle marquera aussi la transition vers une phase plus opérationnelle. Les règles étant mieux définies et les processus mieux maîtrisés, les rénovations deviendront progressivement plus fluides et plus systématiques.
À terme, nous saurons immédiatement, dès l’analyse d’un dossier, quelle sera la marche à suivre. Cela permettra une accélération du rythme des rénovations, mais aussi une meilleure visibilité pour nos mandants. Là où, jusqu’à présent, nous avions parfois du mal à leur donner une estimation fiable des délais et des conditions d’instruction des dossiers, nous pourrons désormais les informer avec beaucoup plus de précision.
En résumé, je suis optimiste : le marché de la rénovation énergétique va véritablement se structurer et se déployer dans les années à venir. Les freins administratifs se lèveront progressivement, et nous entrerons dans une nouvelle dynamique, avec une approche plus fluide, plus maîtrisée et mieux anticipée.
Source : Marché de l’immobilier commercial suisse. Rétrospective 2024 & perspectives 2025. Lien vers l'étude Naef Commercial I Knight Frank.
Aurélien Tréboux – Responsable travaux Naef rénovations énergétiques.
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Depuis 2022, le département Naef Rénovations Énergétiques accompagne les propriétaires dans la modernisation de leur parc immobilier. Avec une équipe renforcée en 2024, il met son expertise au service de leurs projets, de l’assistance à maîtrise d’ouvrage à la mise en œuvre des travaux. Faites confiance à ses spécialistes certifiés pour une rénovation performante, conforme aux nouvelles exigences et optimisée sur le plan financier. Contactez-les pour concrétiser votre projet.